Friday, March 29, 2024

L’ouverture qui a achevé la destruction du tissu industriel

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Au fil des années, la part de la valeur ajoutée (VA) du secteur industriel dans le PIB s’est nettement dégradée. Au cours des quinze dernières années, la part de la VA industrielle dans la structure du PIB a chuté de plus de 55%. Le déclin a aussi été causé par un secteur qui, pourtant, porte à lui seul toute l’économie du pays.

Sur la même période, en effet, la valeur ajoutée des hydrocarbures dans la structure du PIB a dégringolé de 50% (voire graphe).
Pénalisées par le désinvestissement, les privatisations ratées et les dissolutions dans le secteur public et devant l’incapacité du secteur privé à prendre le relais, la production industrielle nationale est devenue de plus en plus incapable à couvrir les besoins de l’économie et des ménages.

Depuis l’ouverture tous azimuts et l’adoption du principe de l’économie de marché, c’était à l’importation de répondre aux besoins nationaux. La conclusion d’un accord d’association avec l’Union européenne (entrée en vigueur en 2005) et la mise en place d’une zone de libre échange avec les pays arabes (depuis 2012) a achevé la mise à mort d’une industrie agonisante. A mesure que la production industrielle reculait, les importations augmentaient. Si bien que sur la décennie 2005-2014, les importations ont augmenté de près de 200%. Et depuis le début des années 2000, elles ont quasi systématiquement évolué plus vite que le PIB.

Textile, plastique, cuir, électronique, etc., le produit national a, petit à petit, perdu du terrain face aux assauts des produits européens, turcs et chinois. La dégradation affectant particulièrement le secteur des industries manufacturières et de l’industrie métallurgique. Le taux de couverture du marché par la production locale a ainsi été divisé par deux dans l’industrie du bois et du textile, et par près de trois dans celui du cuir, selon une étude de l’expert Rafik Bouklia-Hassane.

Pour certains économistes, la situation actuelle dans laquelle se trouve le secteur industriel est due à la combinaison de plusieurs événements (plans d’ajustement structurel, restructurations, privatisations, libéralisation, etc., mais pas seulement. «L’accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne et l’accord portant sur la grande zone arabe de libre échange (Zale) ont été signés durant les années 2000 et donc ont contribué à leur tour à placer l’industrie algérienne dans la situation qu’on lui connaît actuellement, c’est-à-dire une modeste contribution dans le PIB de l’ordre de 5%», analyse Brahim Guendouzi, économiste.

Impact

Les chefs d’entreprise n’en pensent pas moins. «L’accord avec l’Union européenne a été conclu trop hâtivement, sans tenir compte des intérêts algériens. Il nous a mis par terre», observe Arezki Issiakhem, chef d’entreprise dans l’agro-alimentaire. Avec la ZALE, le constat est encore pire.

«Quand mes marchandises entrent au Maroc, elles sont taxées à 74%. Quand les leurs arrivent en Algérie, ils ne payent absolument rien». Le démantèlement tarifaire n’a pas seulement coûté cher à l’économie en termes de manque à gagner pour les caisses du Trésor, il a également pénalisé des pans entiers de l’industrie, facilitant l’entrée sur le marché de produits dont le prix est devenu plus compétitif que ceux fabriqués localement. «Nous ne sommes pas préparés pour aller vers le libre échange qui est théoriquement une bonne chose», estime Yasmina Taya, chef d’entreprise. A ce titre, «la Zale a été plus grave que le démantèlement contingenté dont je ne peux pas dire qu’il a été fatal. L’erreur vient de chez nous. Il faut réorganiser notre économie, la débureaucratiser et libérer les initiatives afin de s’affranchir de cette culture de l’import.»

Pour beaucoup de chefs d’entreprise et d’observateurs, l’entreprise algérienne n’a pas été suffisamment protégée au moment de l’ouverture du marché et était donc incapable de faire face à la concurrence. L’explosion des importations depuis les années 2000 est «le résultat du démantèlement tarifaire enclenché quelques années auparavant de façon timide, mais qui s’est accéléré avec l’accord d’association avec l’UE et la ZALE vu qu’actuellement un grand nombre de marchandises sont admises en exonération des droits et taxes», explique Brahim Guendouzi. Dès lors, «les producteurs locaux, confrontés à une multitude de contraintes et une concurrence déloyale du fait de la faiblesse du contrôle, ont laissé place progressivement à un nombre élevé d’importateurs.»

En 2015, la balance commerciale de l’Algérie avec les pays membres de la Zale affichait un déficit de près de 400 millions de dollars. Les produits industriels représentant plus de 90% des importations algériennes effectuées dans ce cadre.
D’autres économistes nuancent pourtant ces affirmations. «L’industrie algérienne n’a jamais été compétitive dans la mesure où l’Etat avait la mainmise sur tous les paramètres et biaisait du coup la performance économique», tempère Camille Sari, économiste et financier.

S’il y a une explosion des importations, c’est parce que «dans la sphère dirigeante, il y avait des milieux qui privilégiaient l’importation à la production locale, car on y gagnait plus». Pour lui, «si l’accord d’association avec l’UE est déséquilibré, ce ne sont pourtant pas les entreprises européennes qui ont envahi le marché algérien, mais plutôt les chinoises et autres turques.» La Chine est devenue, depuis 2012, le premier fournisseur de l’Algérie, alors que la Turquie a connu une progression de près de 25% de ses exportations vers l’Algérie entre 2011 et 2014.

Pendant ce temps, la part de l’UE a reculé passant de plus de 55% à environ 50% sur la décennie 2005-2015. Hocine Amer Yahia, expert en entreprise et ancien haut cadre du ministère de l’Industrie, abonde dans le même sens. Il explique que «l’industrie est restée prisonnière de ses modes de gestion archaïque, d’une part, et d’un environnement contraignant, d’autre part, ce qui ne lui permet pas d’occuper une place de choix dans la valeur ajoutée nationale», se situant aujourd’hui «autour de 8/10%, du fait de la baisse des prix du pétrole, contre 20 à 25% en moyenne ailleurs».

Barrières

Dépendance des importations en matière d’inputs, absence d’une liberté de gestion, une autonomie d’entreprise non concrétisée sur le terrain sont autant d’éléments pouvant expliquer cette situation, selon lui. Difficile à partir de là de dire «que les accords avec l’UE (car la concurrence vient d’ailleurs) et la ZALE (accord appliqué en dents de scie) y sont pour quelque chose dans le niveau de performances de nos entreprises».

En outre, s’agissant des importations, le plus gros provient des inputs, demi-produits et biens d’équipement, devant les produits alimentaires, les médicaments et les biens de consommation finale. Ceci pour dire que «le recours aux importations n’est pas la conséquence directe de cette érosion du secteur industriel, de même qu’il n’est pas à l’origine de celle-ci. Mais il est tout à fait clair que lorsqu’on sort d’une longue période de sevrage (pénurie de produits), on ne peut échapper à la ruée vers les importations. L’acte d’importer étant par ailleurs jugé plus facile que l’acte de produire», argumente Hocine AmerYahia. Depuis le début de la crise économique, le gouvernement tente par tous les moyens de réduire la facture des importations, mais cela n’a pas toujours été la principale préoccupation pendant des années.

L’arrivée sur le marché de marchandises chinoises de très mauvaise qualité, parfois même dangereuses pour la santé, se fait sans aucune contrainte, pendant que des industriels algériens tentent d’écouler leurs marchandises. L’un d’entre eux nous raconte comment un importateur dans son secteur d’activité (chaussure de sécurité) lui a rapporté sa propre marchandise achetée en Chine, et dont la durée de vie avait expiré afin qu’il lui redonne vie dans ses ateliers. «S’il y avait des barrières, cette marchandise ne serait jamais rentrée sur le marché algérien et on ne ramènerait pas n’importe quoi», regrette-t-il.

Car s’il est impossible de revenir sur le démantèlement tarifaire, rien n’empêche un pays de mettre en place des barrières non douanières, autrement dit des normes locales pour protéger son économie et ses entreprises. Beaucoup de pays le font, notamment ceux avec qui l’Algérie commerce dans le cadre de la Zale. «On ne peut pas arrêter les importations certes, mais on peut quand même mettre en place des barrières», affirme Amar Moussaoui, industriel dans le domaine du cuir. Le gouvernement a mis en place une liste négative de marchandises exclues de l’avantage préférentiel accordé dans le cadre de la Zale, mais c’est pour le moment loin d’être suffisant au vu de la balance commerciale avec les pays arabes, hors hydrocarbures.

Dans ce cadre, les tentatives de relance de l’industrie risquent de se heurter aux mêmes problèmes.
«La faiblesse des droits de douane, la quasi-absence de normes techniques et de labellisation, le manque d’organismes professionnels devant accompagner le développement de filières technologiques, la timide introduction des TIC dans l’industrie, etc. font que la situation est encore très fragile pour espérer voir un secteur industriel devenir performant et compétitif. Le chemin est encore long», estime Brahim Guendouzi. A plus forte raison, dans le contexte actuel de «crise économique.» 

Safia Berkouk
 
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