La ville, l’habitant et l’administrateur
Le centre de Constantine, ce vieux quartier porteur d’une charge mémorielle intarissable, est aujourd’hui mis entre parenthèse. L’échéance d’un évènement imminent s’approche rapidement et les chargés des festivités s’activent pour être prêts pour le jour J. Avril 2015, nous découvrirons le nouveau visage d’une ville qui subit ces jours-ci des liftings intenses. Comme il est difficile de trouver le moindre détail d’une arabité prise comme prétexte pour hisser Qacentina au rang d’une capitale de la culture arabe, les chantiers continuent de préparer une «mariée» pour des noces, non sans avoir au préalable «étirer» la peau sur les zones visibles. Il est surement question de faire honneur aux prétendants, qui enlèveront son voile pour s’émerveiller face à un look radieux.
La vie professionnelle des commis de l’Etat est un périple, ils traverseront diverses zones géographiques du pays, avec des haltes dans quelques villes. Ils y feront tout pour marquer leur passage et satisfaire une tutelle très regardante sur la concrétisation de sa politique. L’exercice consiste à rendre une belle copie après avoir hérité d’une ville comme d’un «brouillon». Mais savent-ils au moins ce que signifient chez les habitants tous les stigmates sur les édifices, les traces sur le pavé, les empreintes d’une main sur les enduits des murs sans aplomb ?
A Constantine, les chantiers s’attèlent à effacer sans distinction. L’authentique est réduit à un vulgaire produit frelaté. La pierre bleue est détrônée par un produit aggloméré bon marché. Faut-il rappeler que celle utilisée à Constantine a été extraite du site-même? Cette authenticité fait la particularité de la ville ! L’administrateur est dans la logique du renouveau et du pimpant. Les rendus cathodiques peuvent glisser quelques retouches sur les textures et produire des visuels surréalistes. Dans son cursus, il traverse la ville, tout détail local signifiant est, pour lui, une lubie futile.
L’habitant est dans l’affectif. La moindre égratignure, la moindre trace d’impact illustrent la gravure qui ne figure pas dans les annales urbaines, mais présente dans les biographies individuelles. Chaque habitant a son histoire urbaine souvent liée à un lieu, à un recoin dans la ville. L’effacer c’est plonger dans l’irréversible! A Constantine, des édifices ont été reconvertis. Des activités appropriées avaient supplanté d’autres obsolètes, mais le contenant est resté immuable.
Garage Citroën est même resté dans le vocabulaire, El Khalifa l’avait quelque peu bousculé. Les vocables visaient cet édifice s’imposant dans la perspective des Allées. Sa façade avec des arcs monumentaux, a été composée pour répondre à un impératif de l’art urbain.
Des rues-escaliers dont les encoignures se sont effritées, marches impactées, c’est le tribut des multiples défis contre les hommes et l’usure du temps. Chaque stigmate est une ride sur le corps d’une ville qui a besoin de vieillir dans le respect et dans la déférence et non pas dans la facticité du rajeunissement précaire et éphémère.
Pour l’administrateur, gérer la ville n’est qu’un intermède pour exercer et rendre une copie satisfaisante. Pour l’habitant, sa ville est son unique cursus. Un parcours jalonné de vicissitudes que la mémoire transforme en perles mises dans un beau coffret, juste pour les extraire à l’usure du temps. Constantine est appelée à demeurer une belle vieille ville, authentique berceau de l’humanité, éternellement accrochée à son rocher ombilical.