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La greffe d’organes en Algérie état des lieux et proposition d’un plan national de greffe

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La greffe d’organes constitue une thérapeutique qui consiste à remplacer un organe non fonctionnel par un organe prélevé sur un donneur qui peut être décédé ou en état de mort encéphalique, dit «à cœur battant». Il s’agit de prélèvements multi-organes (PMO ) et de tissus : rein, foie, cœur, poumons, pancréas, intestin pour les organes et os, cornée, peau, pour les tissus. Ce type de donneurs représente l’essentiel de l’activité de greffe dans de nombreux pays.

 

Un donneur vivant (DV). Il s’agit essentiellement du prélèvement d’un rein et à un degré moindre d’un lobe hépatique. Le nombre de greffes rénales par DV varie d’un pays à l’autre. Le taux par rapport à l’ensemble total des greffes est de 7% en France, 21% en Allemagne, 36% aux Etats-Unis, contre 54% et 40% respectivement aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne .
En Algérie, vu nos conditions socioculturelles et certaines contraintes organisationnelles, les activités de prélèvement sur sujet décédé restent difficiles à promouvoir. La greffe à partir du donneur vivant apparenté (DVA), choisi au sein de la famille du patient, constitue à l’heure actuelle pratiquement 100% de l’activité de greffe rénale (5 greffes à partir d’un donneur décédé ) et 100% de l’activité de greffe hépatique, seules greffes vascularisées pratiquées.

Cette activité de prélèvement et de la greffe d’organes est régie par la loi 85-05 du 16 février 1985 et les différents textes réglementaires d’application. Cette activité ne peut être pratiquée que dans des établissements autorisés (arrêté numéro 29 du 14 juin 2012 complétant l’arrêté numéro 30 du 2 octobre 2002), dont le nombre est passé de 3 à 12, pour le rein, et de 1 à 2 pour le foie. Le prélèvement et la greffe d’organes ne peuvent faire l’objet d’aucune transaction financière.
Le prélèvement d’organes sur des personnes décédées ne peut se faire qu’après constatation médicale et légale du décès et que si le défunt n’a pas fait de son vivant opposition au don. La loi repose sur le principe du consentement présumé. On doit s’assurer qu’il n’y a aucune contre-indication médicale au prélèvement.

Le prélèvement d’organes sur personnes vivantes ne peut être pratiqué que sur personnes majeures et ne doit pas mettre la vie du donneur en danger. Le consentement doit être libre et éclairé. Ce consentement est révocable à tout moment.
La première greffe rénale a eu lieu le 14 juin 1986,  elle constitue 2% de la prise en charge de l’insuffisance rénale chronique (IRCT) contre respectivement 94% et 4% par hémodialyse (270 centres) et dialyse péritonéale (15 centres). De 1986 à 2012, 930 greffes ont été réalisées, à partir d’un DVA avec une moyenne de 120 greffes/an sur les 5 dernières années.

La première greffe hépatique a eu lieu le 5 février 2003. On a dénombré en novembre 2012, 33 greffes hépatiques adultes toutes réalisées à partir du DVA. Il ressort que malgré la multiplication des centres autorisés, on enregistre moins de 1000 greffes rénales en 26 ans. Un bilan qui demeure modeste au regard, d’une part, du nombre total des patients en hémodialyse qui semble être passé de 1720 en 1992 à 15700 en 2012, soit 9 fois plus, d’autre part, de l’incidence de l’IRCT estimée en raison de données épidémiologiques insuffisantes et en l’absence d’un registre national bien documenté à 100 nouveaux cas par million d’habitants/an (pmh), soit à 3500 nouveaux cas par an.

Nos résultats sont loin de rejoindre ceux des autres équipes de greffe. A titre d’exemple, en 2010 respectivement aux USA et en France, on a recensé 16 820 et 2500 greffes rénales, 6340 et 1090 greffes de foie et 2320 et 360 greffes cardiaques .
Au vu de ces résultats, on constate que la greffe d’organes est à l’état embryonnaire et insuffisamment développée dans notre pays. En 26 ans, on arrive à peine à atteindre le tiers des greffes rénales réalisées en France en une année. En un mot, les 12 centres réunis arrivent tout juste à réaliser ce que réalise un seul centre performant en Europe ou aux USA sur une période de 12 mois.

Quant à la greffe hépatique, en 10 ans, l’activité ne représente qu’un trentième des greffes réalisées en France en une année. Pour l’année 2008, 112 greffes rénales ont été réalisées, soit une incidence pmh de 3,1. L’incidence des greffes par rapport à l’incidence d’inscription ne peut être appréciée à cause de l’absence d’informations prenant en compte le nombre de patients nouveaux inscrits qui viennent s’ajouter aux patients déjà inscrits sur une liste d’attente et le nombre de patients décédés, alors qu’ils sont en attente d’une greffe. Ces paramètres sont un préalable indispensable pour pouvoir établir une prévision fiable.

Envisager d’effectuer quarante greffes pmh par an serait un objectif raisonnable à long terme et économiquement rentable. A défaut, se fixer comme objectif un minimum de 30 greffes rénales pmh/an, à l’exemple de certains pays comme l’Italie. En ce qui concerne les autres types de greffes, une étude approfondie en déterminera les objectifs à moyen et long termes.
Il ne s’agit donc pas de multiplier les centres sans tenir compte de tout ce qu’exige un centre de greffe/prélèvement en infrastructures et ressources, pour répondre aux besoins en matière de greffe rénale et hépatique, en particulier et de la greffe des autres organes non encore pratiquée. Il s’agit plutôt d’établir un plan national de greffes visant :
• La satisfaction progressive et planifiée des besoins nationaux en matière de greffes en adéquation avec les ressources que le pays est en mesure d’engager ;
• la mise en conformité continuelle du système national de greffes avec les normes et standards internationaux (sur le plan quantitatif, qualitatif, en matière de sécurité et réseautage) ;
• la mise en place d’un système d’informations, de stockage et de traitement des données qui s’appuie sur une base de données ;
• l’optimisation et l’efficience de manière à réaliser le maximum de greffes avec un coût minimum.

Pour ce faire, le plan national s’appuiera sur un plan d’action pluriannuel qui inclura en son sein un calendrier qui fixe pour chaque action une échéance de son exécution, les ressources à mobiliser et les critères d’évaluation du degré de réalisation des actions par rapport aux prévisions tant sur le plan quantitatif que qualitatif ainsi que d’autres aspects financiers, sécurité…

A ce titre, l’Agence nationale des greffes (ANG),  créée conformément au décret exécutif 12/167 du 5 avril 2012 (non encore opérationnelle), constitue un acteur essentiel dans la réalisation de ce plan. Les missions contenues dans l’article 5 du présent décret confèrent à l’ANG un rôle de partenaire dans l’établissement des politiques, stratégies et objectifs en matière de santé publique, notamment ceux liés au prélèvement et la greffe d’organes, de tissus et de cellules du corps humain. Elle est garante de la bonne pratique, du respect, de la réglementation, de l’éthique, d’équité, détentrice de toutes les informations et données liées à cette question. Enfin, elle assure le contrôle et la supervision des activités de greffe en Algérie.

La réussite du plan national repose essentiellement sur l’adoption d’un nouveau système de gouvernance qui prévoit des relations contractuelles entre l’autorité de tutelle et l’ANG sous la forme de contrat de performance, d’une part, et entre l’agence et les structures impliquées dans les activités de prélèvement et de greffe, d’autre part. Elle dépend donc du sérieux que l’on doit accorder à l’installation de celle-ci de la pertinence des objectifs assignés et de l’efficacité de la mise en place de son organisation.
A ce titre, une fois installée, l’agence doit préparer une feuille de route constituée d’un plan d’action basé sur des objectifs à court terme et éventuellement des actions urgentes pour remédier à des situations graves et prioritaires et d’un plan d’action à moyen terme qui constituera l’essentiel du plan national.

A court terme, deux actions sont prévues :
-L’élaboration, l’adoption et la mise en place de l’organisation de l’agence. La structuration préconisée s’appuiera sur deux ensembles. Le premier regroupera les activités opérationnelles et médicales de l’ANG, à savoir la planification, la préparation, la réalisation et la supervision de toute activité liée directement à la greffe. Le deuxième regroupera l’ensemble des activités de soutien et mobilisation des ressources nécessaires à l’exécution de ces plans et programmes. L’ANG s’appuiera en outre sur des comités scientifiques et d’experts pour l’élaboration des plans d’action, des règlements et règles qui doivent régir les activités de greffe conformément aux normes et standards internationaux et au respect d’équité et d’éthique.
-L’établissement d’un état des lieux : effectuer une mission d’évaluation des activités et des résultats des équipes de greffe à partir du DVA pour situer d’une manière objective les insuffisances et les freins rencontrés. A cet effet, il faut prévoir des supports et questionnaires devant servir à l’enquête, établir un planning de réalisation afin d’en tirer des conclusions et de procéder à la confection des recommandations.

Le plan moyen terme vise à :
Une augmentation progressive et planifiée (objectif annuel à réaliser) de l’incidence pmh de greffes rénales et hépatiques en élargissant le cercle du DVA à la famille élargie du receveur et une introduction planifiée en parallèle de la greffe à partir d’un donneur décédé. Celle-ci permettra par ailleurs d’effectuer les greffes non encore pratiquées et vitales pour les patients. Dans le cas du rein, améliorer l’accès à la greffe en évitant, entre autres, de transfuser les receveurs. Si le besoin réel en transfusion se fait sentir  n’utiliser que des culots globulaires systématiquement déleucocytés. Les leucocytes sont responsables de la production d’anticorps anti-HLA qui peuvent compromettre à jamais la greffe.

Tout ceci nécessite la préparation d’un plan pluriannuel d’actions en s’appuyant sur les comités scientifiques et d’experts et en conformité avec le Conseil national de l’éthique des sciences de la santé.
En application du plan d’action, toutes les structures participant aux activités liées à la greffe doivent être réorganisées et leurs structures redimensionnées en fonction des missions et des plans de charge attribués. Une évaluation des besoins induits par cette restructuration (renforcement des entités existantes et/ou création de nouvelles entités) permettra de déterminer les ressources nécessaires à mettre en œuvre et de planifier leur mise à disposition et leur bonne répartition. Une attention particulière sera accordée à la mobilisation des ressources humaines pour doter l’ensemble des entités en personnel compétant, performant et bien formé. Un plan de formation et un plan de recrutement doivent être établis à cet effet.

Parmi les objectifs stratégiques qui permettent le développement du don et greffe d’organes, la révision du système actuel d’information, de traitement de données et de communication constitue une priorité absolue. En effet, on ne peut pas établir des prévisions, des projections et des bilans si on ne dispose pas de données sincères et fiables. De même, on ne peut pas sensibiliser et augmenter le nombre de donneurs si notre système de communication est défaillant, voire inexistant. A ce titre, l’introduction de l’informatique, la constitution de base de données, l’élaboration d’un plan directeur informatique et la mise en place d’un plan communication constituent une urgence pour l’agence.
L’autre axe non moins important concerne l’évaluation qui doit s’effectuer selon un aspect qui concerne le degré de réalisation des actions prévues et inscrites dans un calendrier précis qui tient compte des critères d’appréciation préalablement établis, un autre concerne la conformité aux procédures et règlements qui régissent les activités de l’agence et du secteur de la santé d’une manière générale. L’agence se dotera d’une structure d’audit pour remplir cette mission. 

En conclusion

La concrétisation du plan national de greffes, s’il est adopté, exige l’adhésion et la collaboration de l’ensemble des partenaires de santé, à savoir les sociétés savantes, les associations de malades, l’Agence nationale du sang…, qui doivent partager les options politiques, l’orientation stratégique, les enjeux et défis à relever. Les objectifs contenus dans ce plan sont très ambitieux et nécessitent beaucoup de rigueur et d’abnégation. Elle exige aussi un changement radical de mode de gouvernance qui permettrait une meilleure répartition des tâches et responsabilisation, un meilleur accès à l’information, une gestion efficace des ressources et de promouvoir la culture professionnelle. Elle exige enfin l’adoption d’un plan de communication en direction des professionnels de la santé, des malades et de leur famille et du grand public pour les informer, les sensibiliser et promouvoir le don. La greffe est une thérapeutique qui ne doit plus être ignorée des patients ou de leur famille. En l’absence de contre-indication, elle doit être impérativement proposée.

Bouali-Benhalima Malika : Pr hospitalo-universitaire, chef de service immunologie, CHU Mustapha Bacha
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